Petit argumentaire pour « Des nouvelles du petit peuple »
Ce court texte est essentiellement destiné à répondre à un double questionnement : pourquoi écrire ça et pourquoi l’écrire comme ça ?
On a souvent dit que ces neuf histoires étaient noires, difficiles, voire désespérantes. On a insisté dans cet opprobre en tentant de me démontrer qu’elles n’ouvraient guère sur une possible résilience. A telle enseigne que des éditeurs qui trouvaient remarquables le style, le système narratif, le lexique, la force des situations, etc… m’ont refusé la parution en m’expliquant que l’époque n’était pas à désespérer le lecteur. Car ces nouvelles étaient- et sont toujours- tellement vraies qu’on pouvait les lire comme des photographies de la société actuelle. Danger ! L’un d’entre eux a fini par s’échapper en arguant qu’il ne publiait que des textes de fiction (tous les extraits en caractères gras sont des citations. )
Or, les neuf histoires sont fictionnelles
Oui, « des nouvelles du petit peuple » est un livre noir (dans tous les sens du mot ). Le sujet l’exige, l’auteur a choisi de l’exprimer de cette manière. Parce que toute autre écriture eût été une trahison de ces gens-là, de ce petit peuple, même si en les instituant comme personnages littéraires je leur confère une grandeur, une certaine reconnaissance -cela demeure un artifice, un ersatz, que leur vérité vécue ne leur offre pas, ne leur propose même pas, ceci étant dit sans aucune once de populisme, sans rejouer « les deux orphelines ». Le monde, tout nouveau tel qu’on essaie de nous le vendre, est fondé sur un système dont l’inégalité conditionne la perpétuation. La pauvreté, la misère sont des nécessités dans lesquelles le capitalisme maintient ses féaux. Et donc plus important sera l’écart entre les seigneurs possédants et les pue-la-sueur, plus il y aura de valets, économistes, journalistes, intellectuels des beaux quartiers… pour brailler que c’est la nature immuable des choses qui veut ça, qu’il n’existe pas d’autre système que celui-là pour que la terre continue de tourner dans le bon sens. « Un mensonge répété devient la vérité », professait Goebbels.
La déblatération très mode sur la résilience n’est pas indemne de l’assertion de ce grand humaniste. La résilience, en résumé, c’est la capacité à faire face à des événements difficiles…avec, en sous- entendus pernicieux, l’infra discours, qui fonde « l’ordre des choses », ce foutu ordre des chose, multiséculaire, sur quoi on a justifié (et on justifie encore) les croyances religieuses, la hiérarchie des races, l’esclavage, les génocides, le Don et la Dette des régimes féodaux, fondations du capitalisme (je te donne du travail, donc tu m’est redevable en tout)…et tutti quanti , ad nauseam…mais aussi : si ces gens-là ,ce petit peuple, sont confinés dans les conditions brutales où se déroulent leurs existences, c’est bien, qu’au fond, ils ne font rien pour s’en sortir, on a même le droit de penser qu’ils s’y complaisent…donc , l’ordre est juste : il y a les premiers de cordée (ha !ha !) et les autres , qui ne sont rien , qui ne comptent pas. (ici encore, citations exactes).
Donc, sujets inintéressants, pas dignes d’être des personnages en littérature, ces gens dont les histoires sont perdues dans un angle mort de l’Histoire (ainsi que je les désigne dans un autre de mes livres)
On est allé jusqu’à me reprocher la tristesse de ces nouvelles, aussi bien leurs sujets que leur écriture.
La tristesse !Ah ! le joli vocable dégoulinant d’un paternalisme insane !Par quoi on condamne autant ce ramassis de textes que l’auteur qui a osé les produire, avec ce vocabulaire sale et vilain.
En exergue des « nouvelles du petit peuple », une phrase de Camus : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ».
Une autre de Vaclav Havel : « Le salut du monde repose sur la réhabilitation de l’être humain »
Si, comme moi, on considère la littérature comme une arme, si en suivant un grand poète espagnol, Gabriel Celaya, on recourt à l’acte artistique, à la recréation d’une réalité, au fait de raconter des histoires en usant de cette arme, parce que « la poesia es una arma cargada de futuro » (la poésie est une arme chargée de futur), on écrit ça comme ça. On commet un acte de salubrité sociale, écrire est un engagement dès lors que celui qui écrit le fait pour contribuer à changer le monde en bousculant, jusqu’à le bousiller, ce foutu ordre naturel. Pour que le futur ait une autre gueule.
Voilà pourquoi j’ai écrit « des nouvelles du petit peuple ». Parce que j’en viens, parce que j’en suis. On ne nait pas impunément dans le monde des miséreux.
Ce n’est pas le désespoir qui est le ferment de la révolte, c’est la révolte qui ensemence le désespoir pour que viennent les futures moissons.
Jacques NUNEZ-TEODORO.